sur mes deux dernières séries : Marcher sur la lisère et Je Suis Vivant
Frôler l’invisible sans jamais parfaitement le saisir. Tel est le motif de Sophie Simonet qui, dans une quête permanente de l’insondable, explore l’orée de la réalité. Puisant son inspiration dans la nature, la danse et toute la poésie du quotidien, elle superpose diverses textures sur la toile pour y faire émerger de nouveaux espaces, comme suspendus entre deux mondes.
Dans l’atelier de l’artiste, on trouve des cahiers par dizaines. C’est sur ces pages, qui font déjà œuvre en soi, que commence sa recherche. Elle y écrit, dessine et reproduit des formes, traçant ainsi les prémices de ce qui deviendra un tableau. Parmi ces esquisses se glissent des reproductions d'œuvres ou de théories qui nourrissent sa pratique, sinon la guident. Ces compositions sont ensuite transposées de façon instinctive sur la toile, dans un désordre qui trouvera sa signification une fois achevé.
Des jeux d’échelle et de matière troublent sans cesse la perception, donnant la sensation d'œuvres en mouvement, au sein desquelles on décèle toujours un nouveau détail, une nuance insoupçonnée. Grâce à la finesse des jus d’acrylique et des glacis à l’huile ainsi qu’à la superposition de calques et de papiers japonais, Sophie Simonet parvient à créer des atmosphères éthérées, presque impalpables. C’est précisément cette frontière ténue entre l’être et le non-être qu’elle tente de représenter.
Dans sa série Parle avec lui, elle initie un dialogue avec son défunt fils, Tom. À son décès, elle découvre nombre de ses poèmes, faisant ainsi naître le désir d’amorcer une œuvre à quatre mains. C’est à la relecture de Je suis vivant, qui affirme sa présence dans tous les éléments de la nature, que la révélation se produit. Non sans humour, le texte se termine sur ce vers : « Je ne meurs pas, mais je te berne ». Chaque feuille, chaque branche, chaque rayon de lumière pourrait donc témoigner de la présence de son fils. Tout se prête alors à la contemplation.
L’artiste prélève des vers des poèmes de Tom et les illustre, leur donne vie. Elle peint des paysages fantasmagoriques auxquels se mêlent de véritables feuilles et fleurs. Leur luxuriance relève presque de la vision et nous invite à interroger le sensible, à regarder au-delà. En prolongeant cette œuvre posthume, elle l’actualise et l’ancre dans le présent. « L’art est un anti-destin » écrivait Malraux, et c’est ce que fait Sophie Simonet par cet échange qui défie la perte et l’absence.
En initiant cette série, un tournant s’opère dans l’œuvre de la peintre. Jusqu’alors, sa production se déployait dans des tons plus obscurs et à travers des thèmes mythologiques particulièrement denses. Désormais bien vivante elle aussi, elle revient à une plus grande légèreté avec des compositions très lumineuses et spontanées.
Des paysages épurés, presque célestes, apparaissent dans la série Marcher sur la lisière. Inspirée par une performance du danseur Simon Le Borgne, elle illustre les métamorphoses d’un corps qui brave l’impossible. Au sein de la toile, la gravité n’est plus. Des individus, dont on ne perçoit que les contours, flânent sans direction précise. Ils jouent avec les astres, s’envolent comme des oiseaux, se démultiplient à l'infini. Tantôt flottantes, courbées ou désarticulées, ces silhouettes humaines semblent atteindre lentement un horizon — un ailleurs.
Est-ce le crépuscule ou l’aurore ? Le commencement ou la fin ? Il n’y a évidemment pas de réponse, seulement la certitude d’un élan dont on ne connaît la destination. Il s’agit là d’une traversée, d’instants en suspension, d’un être qui n’est plus tout à fait ici mais pas encore là-bas.
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